A Dieu de sa fille ainée... qui lui tenait la main au moment du "Passage"

J'ai toujours entendu papa dire qu'il avait en horreur les éloges funèbres, jugés la plupart du temps pompeux ou superficiels, et que s'agissant de ses propres funérailles, il organiserait lui-même et par avance sa célébration pour s'en affranchir; nous n'aurions qu'à nous y conformer précisément.

Il se connaissait bien mal, et heureusement sa légère tendance à la procrastination l'a fait nous quitter sans qu'une ligne soit écrite !

Aussi, avant que la célébration ne prenne le ton spirituel que, je crois, elle va prendre, je voulais glisser deux mots au sujet de papa, qui, tout spirituel qu'il était, a d'abord et avant tout été quelqu'un de très incarné, un terrien puissamment connecté à la vie, et à ses plaisirs.

Un exemple de circonstance pour cet amoureux des repas de famille :

Nous étions sans difficulté tombés d'accord sur la question pourtant peu dogmatique que l'arrivée au Paradis devrait au minimum être organisée autour d'un festin, buffet garni de victuailles variées et, détail essentiel pour papa : à volonté !

Papa nous a fait grandir avec ses paradoxes : nous enseigner la capacité à transgresser tout en supportant assez mal qu' on lui désobéisse ; être parfois capable de colères homériques pour des broutilles mais manifester une immense douceur face à nos chagrins ; revendiquer la nécessité impérieuse d'éprouver du PLAISIR et du DESIR dans les choses que l'on entreprend, tout en louant les vertus de la frustration.

Entrepreneur et jamais à court d'idées, il nous a traînés dans ses initiatives souvent hautes en couleurs, des randonnées familiales à dos d'âne aux campagnes d'éradication méthodique de la taupe corrézienne, le seul véritable ennemi qu'on lui ait connu.

Son intuition redoutable, son invitation à prendre de la hauteur et porter une voix autre, a su côtoyer les plaisirs régressifs des apéros interminables, des plateaux télé (à condition d'être le chef de la télécommande !), des couchers de soleil face à la vue du Verdier, des pelletées de DVD de mauvais films d'action américains.

L'humour truculent et dévergondé de ses enfants venait à bout de toutes ses tentatives de morale et combien de fois on l'a vu feindre l'effarement devant nos grossièretés décomplexées.

En « bon bougre », il supportait, encourageait même nos railleries et nos petites irrévérences, toutes les libertés que des enfants peuvent prendre lorsqu'ils ne doutent pas de l'amour inconditionnel et émerveillé que leur père leur porte.

C'était ça sa vraie pâte : cette capacité à vivre l'instant, à le goûter et s'en délecter, s'émerveiller, rire.

Pour finir, un mot sur le couple qu'il a formé avec maman. Il est la preuve vivante que tout est possible ! Ces deux là, que vraiment rien ne prédestinait à unir, ont fait quelque chose de bien ensemble, nous ont enseigné que la crise n'est pas à craindre mais à vivre, se sont aimés et disputés jusqu'au dernier jour!

En somme : « le couple, il faut y aller » ; sur le papier c'est improbable, mais on prend le risque de faire des merveilles.

Voilà, papa, quelques maigres mots, qui ne t'auraient sans doute pas réconcilié avec les éloges funèbres.

Bien sûr l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est peut être que j'aie pu te serrer la main si fort pour te dire au revoir.